Et soudain, des dessins du procès Dreyfus !

Le commissaire-priseur était venu pour une succession classique…Il est tombé sur une cinquantaine de dessins d’audience signés Maurice Feuillet.

Le commissaire-priseur était venu pour une presque banale succession, un oncle défunt, laissant tableaux, objets et dessins dans sa maison de Nantes. Mais curiosité et déformation professionnelles excusent, Bertrand Veyrac se met à fureter. « Un commissaire-priseur adore fouiner, farfouiller ! Oui, nous nous comportons mal, confesse en riant Henri Veyrac, et c’est parfois tant mieux ! »

Dans un déménagement

La preuve, ce sont ces dessins qu’il tire d’un carton, parmi d’autres. Des crayonnés de juges, des militaires, des femmes en robe…Diable ! À vue de nez, le procès Dreyfus. Il reconnaît aussi une barbe opiniâtre qui semble être celle d’Emile Zola.

« S’il s’agit vraiment du procès de Rennes en août 1899 et de celui de Zola à Paris en 1898, nous sommes vraiment sur quelque chose de vraiment important, réalise alors Veyrac, lui-même féru de cette « période charnière ».Nous sommes dans l’histoire. »

La cinquantaine de dessins signés du bien nommé Maurice Feuillet (1873-1968), sont bel et bien d’époque, arrivés à Nantes, au hasard d’un déménagement d’un descendant. Comment ont-ils pu tomber dans l’oubli ?

« Maurice Feuillet, Parisien, a été très connu pour avoir fondé le Figaro artistique en 1923, un supplément hebdomadaire consacré à l’art. L’époque a oublié ses débuts dans les croquis d’audience », explique Veyrac. Une autre raison est qu’on ne sait pas où ils ont été publiés. L’ont-ils d’ailleurs été ?

Aux enchères le 8 décembre

Le commissaire-priseur devenu commissaire tout court, mène l’enquête. Il sait seulement que le jeune Feuillet avait été accrédité par une vraisemblable agence de presse, Black and White, d’après sa carte de presse. Acquise il y a peu par le Musée de Bretagne de Rennes.

Lequel Musée et bien d’autres, dont le futur musée Dreyfus de Médan, dans les Yvelines, ne sont pas insensibles à ces trésors (que l’État peut également préempter), exceptionnels aussi par leur ton. Pas de parti pris, pas de caricatures. « Ce sont des représentations de Dreyfus très justes. Feuillet a 19 ans quand il les fait. Il est jeune. Il n’a pas de culture politique et n’est missionné ni par les Dreyfusards ni par les anti-Dreyfusards », relate Henri Veyrac, ravi d’avoir sauvé des trésors de l’oubli.

Véronique ESCOLANO

[Article paru dans Ouest-France, le 3 décembre 2020]

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