Jean Brohan de Penesclus

L’incroyable histoire de Jean Brohan de Penesclus (en Muzillac)

Cette histoire fut recueillie en 1869 par un journaliste. Elle fut publiée en 1876 dans l’ « Avenir du Morbihan », journal républicain, sous le pseudonyme « Oméga ». Elle relate des faits qui se sont déroulés lors du blocus continental (1806-1814). A cette époque, Napoléon Ier, qui cherchait à ruiner l’Angleterre, interdit à l’ensemble de l’Europe continentale toute activité commerciale avec ce pays. Privée d’importants marchés d’exportation et de sources d’approvisionnement, l’Angleterre établit en représailles un blocus maritime des côtes de l’Europe continentale, particulièrement redoutable entre l’Atlantique et la Baltique. Toute navigation s’avérait donc extrêmement périlleuse pour les navires français à cette époque.

Merci à Robert Leray de l’avoir portée à notre connaissance.

Je suis né à Penesclus en 1793. J’ai donc maintenant 76 ans. Jusqu’à l’âge de 13 à 14 ans, j’ai vécu comme tous les enfants de campagne, au milieu des champs, des troupeaux, des pêcheurs. Mais à cette époque, l’odeur et la vue de la mer me montèrent à la tête, remuant fortement ma jeune imagination. Vers novembre 1807, il fallut céder à ma vocation, je pris la grande et courageuse résolution de m’embarquer comme mousse. La tentation était puissante, car je n’ignorais pas que les voyages sur mer étaient alors pleins d’écueils et de dangers. C’était assez pour affermir ma résolution, je me rendis à Pénerff où je fus reçu comme mousse à bord de la Marie-Coelina, capitaine Lappartien, navire de 70 tonneaux qui venait de sortir tout neuf des chantiers de Redon. Je m’embarquai donc à bord de la Marie-Coelina, nous dirigeant sur Bordeaux où nous prîmes au compte de l’Etat un chargement de vin et d’eau de vie à destination de Brest et Quimper. Pour faire à cette époque un long trajet, les navires se réunissant en flottille aussi nombreuse que possible, à l’effet de rendre l’attaque plus difficile aux ennemis, tout en rendant notre défense plus efficace. Il fallait de plus ne pas s’écarter des côtes et surtout bien se garder de rester en arrière, autrement on était très exposé à tomber aux mains des anglais qui partout épiaient l’occasion de saisir une proie. Ce fut cependant le sort que subit notre Marie-Coelina pour n’avoir pu rejoindre à temps le groupe de sûreté. Le bâtiment fut pris, les hommes qui le montaient furent débarqués ; seul je fus gardé à bord, eu égard au parti que l’on croyait tirer de mes fonctions, et amené avec la capture à l’amirauté anglaise. Là, nos ennemis voulurent m’enrôler comme mousse dans leur marine ; mais je leur déclarais que jamais je ne servirais les anglais. Promesses, menaces, tout fut inutile, ils essayèrent de m’intimider par la prison. J’y restai enfermé quelques jours puis je fus réintégré sur le Marie-Coelina avec cinq anglais qui avaient ordre de m’amener et de faire voile vers l’Angleterre.

Nous étions déjà vis-à-vis de l’île de Sein que je reconnus, quand je m’aperçois que mes anglais, qui souvent descendaient pour boire, se trouvaient tous au même moment dans la petite chambre d’arrière. Me précipiter vers l’écoutille, la fermer incontinent, passer dessus le bras de fer en l’assujettissant, tout cela fut l’affaire d’un instant. De prisonnier me voilà capitaine. Je saisis la barre ; je dirige le navire vers l’île en vue que je viens de citer ; je hisse enfin le pavillon du pilote. Au bout de quelques heures, je vis venir vers moi deux chaloupes de pêche montées par un nombre d’hommes suffisant pour avoir raison de mes captifs. Je dis aux pêcheurs montés bientôt à bord de la Marie-Coelina : Attention! Les cinq oiseaux sont ici en cage, il ne faut pas qu’ils nous échappent ! Ils ne nous échappèrent pas en effet ; équipage, navire et cargaison furent conduits à Brest, où vous croyez sans doute que je fus vivement félicité, et largement récompensé pour ce que je venais d’accomplir. Il n’en fut rien cependant. Quelques-uns, mes auxiliaires peut-être, s’attribuèrent sans doute le mérite et le bénéfice de la capture. Pour moi, on me mit en prison, soupçonné que j’étais d’être un transfuge ou un traître au service de l’ennemi. Ce ne fut qu’au bout de quelques jours et à la suite de renseignements recueillis en ma faveur, que le commissaire de marine me fit relâcher. Muni d’un peu d’argent et de la feuille de route que voici (ce disant, il nous montra un vieux papier), je partis pour Penesclus mon pays, heureux de le revoir et plus heureux encore de l’idée de ne plus le quitter.

Peut-être certains parmi vous auraient-ils envie de se pencher sur la construction navale à Redon vers 1800, sur le trafic maritime des vins et eaux de vie de Bordeaux  vers la Bretagne ; sur Jean Brohan ; sur l’Avenir du Morbihan ; sur l’inimitié tenace entre marins bretons et anglais tout au long du XIXe siècle ? Nous attendons vos contributions.

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